La 4L fête ses cinquante ans
Publié: Mar Déc 07, 2010 10:59 pm
La Renault 4 fête ses cinquante ans
Troisième modèle1 le plus vendu dans l'histoire de l'automobile et première voiture
française la plus vendue dans le monde avec plus de huit millions d'exemplaires,
commercialisée dans plus de cent pays, la Renault 4 est une icône. En 2011, Renault fêtera
ses 50 ans. À cette occasion, Histoire & Collection participera à plusieurs grands
évènements. La Renault sera inscrite au rallye Monte-Carlo historique et présente au salon
Rétromobile en février prochain. Elle sera également à l'honneur lors de la troisième édition
du 4L International qui aura lieu en juillet prochain dans la région des Châteaux de la Loire.
La Renault 4 est née d'un concept. En 1956, Pierre Dreyfus, président de la Régie nationale des
Usines Renault, lance le projet de "la voiture blue-jean". À l'instar de ce vêtement devenu
universel, il souhaite une voiture polyvalente, économique, mondiale, adaptée à l'évolution des
sociétés qui se dessine à l'aube des années 60.
Après cinq ans de développement, la Renault 4, première voiture particulière de la marque à
traction avant de la marque, est dévoilée à la presse puis au Salon de l'Auto en 1961. À son
lancement, trois versions et une fourgonnette sont présentées ; la R3 qui disparaîtra l'année
suivante du catalogue, la R4 et la R4L, L pour luxe, qui deviendra très rapidement le surnom de la
Renault 4 dans le coeur des Français.
Elle séduit tout de suite par son habitacle sans égal, son faible coût d'utilisation et sa capacité à
s'adapter à tous les besoins de ses utilisateurs. Seulement six ans après son lancement, la
Renault 4 dépasse le cap du millionième exemplaire produit. Les records ne cesseront alors de
tomber pour atteindre une production totale de 8 135 424 unités en trente et un ans de carrière.
La Renault 4 rencontre également le succès à l'étranger. Elle est produite ou assemblée dans
27 pays (hors France), aussi lointains que l'Australie, l'Afrique du Sud, le Chili ou les Philippines.
Sur dix voitures vendues, six l'ont été hors de France.
1 Après la Volkswagen Coccinelle et la Ford T (des modèles n'étant plus commercialisés aujourd'hui).
Pendant sa longue période de commercialisation, la Renault 4 sera déclinée en fourgonnette, en
version quatre roues motrices, en cabriolet. Des variantes (la Rodeo) et de nombreuses séries
spéciales seront proposées dont les plus célèbres en France resteront la Parisienne (1963), la
Safari (1975), la Jogging (1981) et la Sixties (1985).
Elle bénéficiera d'un championnat à son nom, sera utilisée par des jeunes pour découvrir le
monde, participera à des épreuves mythiques comme le rallye de Monte-Carlo ou le rallye raid
Paris-Dakar où elle finira sur la troisième marche du podium.
En 1992, une série spéciale numérotée Bye-Bye clôt cet incroyable succès. La Renault 4 sera
encore produite en faible quantité en Slovénie et au Maroc jusqu'en 1994.
Pour fêter ses cinquante ans, Renault organise ou participe à plusieurs grands évènements tout au
long de l'année 2011. Voici les principaux rendez-vous.
Exposition Modulo 4
Une exposition itinérante sera présente lors des différents rassemblements automobiles 2011
(Rétromobile, World Séries by Renault, exposition à Autoworld à Bruxelles, au Musée national de
l'automobile à Mulhouse, etc). Conçue par Histoire & Collection, elle retrace autour de treize
modèles, l'histoire et toutes les qualités de la Renault 4.
Trois Renault 4 inscrites au rallye Monte-Carlo Historique 2011
Clin d’oeil à l’engagement d’équipages officiels au volant de Renault 4 aux éditions 1962 et 1963
du mythique rallye de Monte-Carlo, Renault Histoire & Collection a préparé trois Renault 4 pour le
rallye Monte-Carlo Historique 2011 qui se déroulera du 27 janvier au 2 février. Ces trois
exemplaires ont été entièrement démontés avant d’être révisés et remontés dans les règles de
l’art. Ces modèles sont équipés pour affronter les 2 500 kilomètres de route qui attendent les trois
équipages emmenés par Jean Ragnotti, ‘‘Manu’’ Guigou et Michel Duvernay.
Renault au salon Rétromobile
Les 50 ans de la Renault 4 sont l’occasion pour Renault d’être à nouveau présent au salon
Rétromobile qui se déroulera du 2 au 7 février 2011 à la Porte de Versailles à Paris. Sur un stand de 700 m², les visiteurs pourront (re)découvrir une douzaine d'exemplaires de la Renault 4 grâce à
l'exposition Modulo 4. À cette occasion, une Renault 4 Miss Sixty sera exposée (cf. plus loin).
Le rassemblement 4L International
Pour la troisième année consécutive, le meeting 4L International, qui réunit des passionnés de
toute l’Europe et même au-delà, se tiendra en France à Thenay (Loir-et-Cher) du 15 au 17 juillet
2011. Soutenue par Renault Histoire & Collection depuis sa création par la revue 4L Magazine,
cette édition qui revêt un caractère tout particulier en cette année du cinquantenaire, attend
plusieurs milliers de participants. Parmi les très nombreuses activités qui seront proposées, une
tombola permettra de gagner la Renault 4 avec laquelle Jean Ragnotti aura participé au rallye
Monte Carlo Historique 2011.
Renault 4 Miss Sixty
Faisant référence au nom Miss Sixty et au blue-jean, cher à Pierre Dreyfus, la Renault 4 Miss Sixty
est un clin oeil à la série spéciale Twingo Miss Sixty présentée au Mondial de l’Automobile de Paris
2010. La Renault 4 Miss Sixty est un exemplaire unique, conçu par la Direction du Design de
Renault en collaboration avec les équipes de Miss Sixty et réalisée par Renault Histoire &
Collection pour célébrer les 50 ans du modèle.
Basée sur une Renault 4L de 1965, elle se distingue de la version d’origine par sa teinte
spécifique, ses strippings sur le capot, l’aile arrière gauche et sur deux de ses roues ainsi que par
le traitement de ses feux arrière ou encore par son intérieur entièrement reconditionné en jean gris
avec coutures et broderies roses.
Carte d’identité de la Renault 4
Lancement du projet :
• En 1956.
Nom du projet :
• Projet 112.
• En interne le projet sera surnommé « 350 » en référence au prix annoncé dans le cahier des
charges (350 000 francs).
1ère présentation :
• Presse : août 1961 en Camargue.
• Grand Public : au Salon de l’auto de Paris en octobre 1961.
Nombre de pays de fabrication/assemblage :
• 28 pays (dont la France).
Nombre de pays de commercialisation :
• Plus de 100.
Fin de production :
• Le 3 décembre 1992, Renault annonce par communiqué de presse la fin de vie de la
Renault 4, seuls deux sites continueront à produire la Renault 4 au-delà de cette date et
jusqu’en 1994 : le Maroc et la Slovénie.
Nombre total d’exemplaires produits :
• Chiffre officiel : 8 135 424
• La Renault 4 est le 3ème véhicule le plus vendu au monde2 derrière la Volkswagen Coccinelle et
la Ford T.
Noms et surnoms de la Renault 4 :
• En Italie, la JP4 fût commercialisée sous le nom de "Frog" ;
• En Espagne, elle est surnommée "Cuatro latas" (quatre boîtes) ;
• En ex-Yougoslavie, elle est surnommée "Katcra" (Catherine) ;
• En Tunisie, elle est appelée "R4 Monastir" du nom de la ville natale du président Bourguiba ;
• En Rhodésie du Sud (Zimbabwe), elle est surnommée "La voiture de Oui Oui" ;
• En Argentine, elle est surnommée "El Correcaminos" (la coureuse de chemins) ;
• En Finlande, elle est surnommée "Tiparellu" (gouttelette).
• Une compétition dédiée : Coupe de France Renault Cross Elf de 1974 à 1984.
• Les principaux types de motorisation : 603 cm3, 747 cm3, 782 cm3, 845 cm3, 956 cm3 et
1108 cm3.
Chronologie sélective de la Renault 4
1956 Pierre Dreyfus, Président de la Régie Nationale des Usines Renault, lance le projet de la
voiture blue-jean.
1959 Les prototypes de la future Renault 4 sillonnent les routes du monde. Des USA à la Suède
en passant par la Sardaigne ou la Guinée, ils connaissent les conditions de roulage les
plus extrêmes.
1961 6 juillet : La dernière 4CV sort des usines de Billancourt. L’ensemble de son outillage est
démonté pour faire place aux lignes de montages destinées à assembler la nouvelle
Renault 4.
août : Présentation à la presse de la Renault 4 et de la Renault 3 sur les chemins de
Camargue.
octobre : Première apparition au public de la nouvelle gamme des Renault 4 lors du salon
de l’auto au Grand Palais à Paris.
1965 La R4 devient officiellement la Renault 4.
1966 Lancement de la dotation Renault « Les Routes du Monde » qui prendra fin en 1984.
1967 Avec près de 370 000 unités par an, la Renault 4 devient la voiture française la plus
vendue sur le territoire français. En septembre, apparition de la grande calandre aluminium.
1974 Septembre : Apparition de la calandre plastique.
1977 La barre des cinq millions de Renault 4, toutes versions et carrosseries confondues, est
franchie. Renault devient le premier constructeur automobile européen.
1980 À bord de leur Renault 4, les frères Marreau terminent à la 3ème place du rallye Paris-Dakar.
1985 Le cap des sept millions de Renault 4 vendues est atteint.
1988 La Renault 4 fait ses adieux au marché allemand avec la série limitée "Salü"
(500 exemplaires) après 27 ans de succès et plus de 900 000 exemplaires importés. La
version fourgonnette disparaît du catalogue français.
1992 Les mille dernières Renault 4 quittent l’usine de Billancourt. Ce sont des modèles GTL Clan
qui auront la particularité d’arborer une plaque commémorative sur la planche de bord avec
l’inscription « Bye-bye ».
Le 3 décembre, Renault annonce par communiqué de presse la fin de vie officielle de la
Renault 4. Seuls deux sites continueront à la produire au-delà de cette date et jusqu’en
1994 : le Maroc et la Slovénie.
La production des Renault 4 aura dépassé les 8 130 000 exemplaires.
Les séries limitées et les dérivés
1963 Versions 4 roues motrices Sinpar (jusqu’à la fin de la production).
1963 Parisienne.
1968 Plein Air.
1970 Rodéo, dérivé de la R4 fabriqué par ACL.
1975 Série limitée Safari.
1981 JP4, dérivé de la R4 fabriqué par CAR Système.
Série limitée Jogging (5000 exemplaires).
1982 Série limitée Shopping, produite en Belgique à 300 exemplaires.
1985 Série limitée Sixties (2200 exemplaires).
1988 Série imitée Salü pour la fin de vie en Allemagne (500 exemplaires).
1991 Série limitée Carte Jeunes.
1992 Série limitée Bye-Bye pour la fin de vie en France (1000 exemplaires).
La Renault 4, la voiture blue-jean
« La voiture blue-jean », cette nouvelle philosophie de l’automobile développée par le visionnaire
Pierre Dreyfus donnera naissance à l’icône qu'est devenue la Renault 4, qui 50 ans après, reste
l'une des voitures les plus produites de l'histoire de l'automobile.
Une gamme de prêt à porter
Les premières études de la Renault 4 démarrent en 1949 avec le projet 109, directement issu de la
4 CV mais plus habitable et légèrement plus puissant. Il peine toutefois à émerger. En septembre
1952, les ingénieurs des études engagent une seconde réflexion sur le remplacement de la 4 CV,
reposant sur deux données incontournables. D’abord, la nécessité d’imaginer une quatre places
aux performances et à la consommation très proches de celles de la 4 CV. Ensuite, la
détermination d’un prix de vente fixé à 300 000 francs. Le service des études de marché de
Renault insiste sur la nécessité de proposer le futur modèle en plusieurs versions, notamment en
« une berline populaire, un modèle semi-utilitaire et un utilitaire ».
De cette idée maîtresse, les ingénieurs mesurent combien l’architecture de la 4 CV et notamment
son moteur arrière sont incompatibles avec la notion de modèle utilitaire. Pour résoudre la
question des trois versions, Fernand Picard s’intéresse à la création d’un châssis, de type plateforme,
avec une idée encore assez floue de carrosseries interchangeables. Or l’abandon de la
monocoque – un élément considéré comme essentiel dans l’allègement des caisses et
l’abaissement des coûts de fabrication – s’accompagne d’une révolution en matière de
carrosserie : la possibilité de voir le client habiller sa voiture chez le concessionnaire ! Cette
politique du prêt-à-porter automobile verrait les revendeurs Renault installer, à la demande des
clients, les éléments de distinction entre la berline, le semi-utilitaire et l’utilitaire. Elle permettrait
même d’avoir dans son garage une garde-robe automobile, ou pourquoi pas d’instaurer un
système de location de carrosseries, voire d’échange standard, aussi bien en neuf qu’en
occasion ! Toutes ces pistes sont étudiées d’autant plus que les nouvelles matières plastiques
pourraient devenir le matériau idéal pour ces carrosseries à la carte. Dernier élément, et non des
moindres, le choix de « l’ensemble mécanique ». Celui-ci, écrit Picard, « doit être démontable et
interchangeable, ce qui conduit à l’adoption de la formule traction-avant ».
Ce n’est qu’en 1954 que Pierre Lefaucheux tranche, et décide l’industrialisation du projet qui
deviendra la Dauphine en 1956. C’est à ce moment que l’avant-projet de 1952 passe au stade de
l’étude, sous le n°112, avec pour tâche de bel et bien remplacer la 4 CV !
« Faites-moi donc un volume »
La mort accidentelle de Pierre Lefaucheux le 11 février 1955 et la nomination de Pierre Dreyfus à
la tête de la régie Renault le 27 mars ont un impact très fort sur le projet de remplacement de la
4 CV. Haut fonctionnaire au ministère de la Production industrielle, et à ce titre vice-président de la
Régie nationale depuis 1948, Dreyfus connaît tout de Renault. Le 2 janvier 1956, Dreyfus fait
entrer aux Études Yves Georges aux côtés de Picard. Plus que le confrontation d’un jeune
Polytechnicien face à un ingénieur expérimenté des Arts & Métiers, cette nomination correspond à
une vision plus scientifique des Études, « à la prépondérance du calcul et de la prévision sur le
pragmatisme et les essais ».
Alors que Picard se met de lui-même en retrait, Georges et Dreyfus entament une collaboration
féconde, croisement et synthèses des idées à priori différentes de l’intellectuel et de l’ingénieur.
Dreyfus regarde l’automobile avec l’oeil et le sens de l’analyse d’un sociologue. Dreyfus se dit
frappé par le fait que Renault ne propose des voitures « que pour les citadins ». Des voitures de
ville en somme, alors que Citroën est sur les voitures des champs. Dreyfus s’interroge aussi sur le
conformisme de l’automobile, au point d’aller résolument à son encontre : « La voiture ne doit plus
être des fauteuils et une malle. Faites-moi donc un volume », glisse-t-il à Georges.
Dreyfus veut une voiture adaptée à une société en pleine évolution, en France, mais aussi dans
ces pays qui seront demain les partenaires d’une Europe des Six. Partout, la population déserte
les campagnes, dans un large mouvement où la modernité commence par l’exode rural. Ces
nouveaux urbains ne viennent pas dans les centres-villes, ils se dirigent vers de nouveaux
quartiers urbains qui tendent à s’allonger pour se prolonger en banlieue. C’est un nouveau monde
où se densifie une population active, où s’égrainent les nouvelles classes moyennes. La banlieue
devient un nouveau lieu, mi-urbain, mi-rural, une sorte de ville à la campagne. Le trait est
parfaitement dessiné pour Dreyfus : c’est la fin de la voiture des villes si différente de la voiture des
champs. Il faut inventer l’automobile polyvalente. Mais cette polyvalence ne tient pas qu’au lieu.
L’étirement de l’habitat et l’absence de réseaux de transports collectifs donnent une place
primordiale à l’automobile. Celle-ci doit être un outil de travail du lundi au vendredi puis devenir les
samedis et dimanches la voiture d’une famille partant en week-end ou, l’été, en vacances. Reste
enfin une dernière évolution, lente, mais essentielle et qui s’amplifie au fil des ans, la place et le
rôle de la femme dans la société. Grâce au plein emploi, l’arrivée du deuxième salaire bouscule les
catégories sociales et les schémas familiaux ; il accélère la consommation, dont celle de
l’automobile. Le produit est justement adopté par les femmes : non seulement le nombre de permis
de conduire tend enfin à s’égaliser entre les sexes, mais les femmes utilisent l’automobile au point
de jouer un rôle décisif dans l’achat.
Pour Dreyfus, la voiture de demain se décline sur les polyvalences : elle doit être à la fois celle des
villes et des campagnes, de la semaine et des week-ends, du travail et des vacances, de l’homme
et de la femme. C’est là que le terme de « voiture blue-jean » va prendre toute sa mesure.
Voiture blue-jean et révolution technique
La « voiture blue-jean » s’écarte des conventions, à l’image de ce vêtement « que l’on peut porter
en toutes circonstances si l’on n’a pas de prétention au snobisme et au conformisme social,
explique Dreyfus, [un habit] qui vous rend tous les services, qu’on traîne partout, qui ne coûte pas
cher, qu’on peut remplacer sans se sentir dépaysé… » Pantalon de travail fabriqué autour d’une
toile denim inusable, le jean est tour à tour la salopette distribuée aux ouvriers du New Deal aux
États-Unis, un pantalon populaire, puis un phénomène de mode pour les populations estudiantines
et artistiques, avant d’entrer dans les garde-robes féminines. Plus rebelle que révolté, unisexe et
égalitariste, il est autant l’habit de James Dean ou de Marlon Brando que celui des hippies qui se
l’approprient en le personnalisant de broderies ou de pattes d'eph.
L’automobile aura son jean. Et Pierre Dreyfus, en reprenant l’étude 112 en 1956, commence par
en fixer le prix. Ce sera 350 000 francs, et pas un sou de plus ! Le message est si net que les
concepteurs vont tout bonnement appeler le projet « la 350 ». Autant dire que l’étude de la voiture
part d’un coût, soit une méthode tout à fait inhabituelle pour l’époque. De cette obligation naît l’idée
de conserver le moteur 747 cm3 et la boîte de vitesses de la Dauphine. L’équipement intérieur sera
chiche : la 350 sera bon marché par les éléments qu’elle n’aura pas. Quant au design, il ne sera
pas au coeur des préoccupations. Dreyfus en fixe lui-même les limites : La 350 devra être moins
moche que la concurrence directe, mais surtout pas coquette comme la Dauphine.
Pour rendre la voiture polyvalente, l’idée première est le plancher plat, qui permet un chargement
sans difficulté. S’ajoutent évidemment trois éléments, l’absence de jupe arrière, l’abaissement
maximal du seuil de chargement et l’ouverture de la voiture à l’arrière par l’intermédiaire de ce que
l’on nomme alors « la porte de service », le futur hayon. Ce schéma architectural si nouveau
bouleverse la culture technique de Renault (venant juste après l’utilitaire Estafette apparu en 1959,
la Renault 4 est la première berline à roue avant motrices de Renault), mais aussi celle de
l’automobile : la régie invente en effet une carrosserie à deux volumes, composé d’un
compartiment moteur d’une part, et d’un ensemble coffre à bagages-habitacle qui ne fait plus
qu’un ; l’habitabilité est à même d’évoluer au gré des besoins, en basculant la banquette arrière, et
en faisant ainsi passer la voiture d’un utilitaire à une familiale.
Quant à la voiture solide et passe-partout, inusable comme une toile denim, Renault choisit des
suspensions indépendantes à barres de torsion qui offrent un grand débattement, permettant
d’emprunter aussi bien les chemins de terre que les routes nationales. Si le jean ne se repasse
pas, la 350 n’a plus de contraintes d’entretien : fini les points de graissage et le niveau d’eau à
surveiller : la mise au point d’un circuit scellé de refroidissement. Grâce à son vase d’expansion
(une innovation Renault) qui récupère le surplus de liquide dilaté par la température, le circuit de
refroidissement fonctionne en circuit fermé, sans pertes ni rajouts. Cette première permet à
l’utilisateur de la Renault 4 de ne pas se soucier de la question du niveau de liquide et
accessoirement le dédouane d’avoir à rajouter de l’antigel durant l’hiver. Pas de soucis non plus en
ce qui concerne le graissage puisque les articulations sont protégées par des soufflets étanches. A
une époque où encore bien des automobiles imposent de longues opérations d’entretien, la
nouvelle Renault annonce l’ère de la voiture sans soucis…
Marie Chantal vous salue bien
Depuis l’affaire de l’Auto Journal et la traque des prototypes de la DS, les constructeurs organisent
leurs essais dans le plus grand secret. Les voitures sont envoyées le plus loin possible avec mille
précautions. L’équipe d’essai de Louis Buty est chargée de mener les prototypes de la Renault 4
aux quatre coins du monde afin d’en éprouver la solidité et de parfaire la mise au point. Afin de ne
pas éveiller la curiosité, aussi bien à l’intérieur de l’usine qu’à l’extérieur, il fut convenu de baptiser
la voiture « Marie Chantal ». Ainsi de laconiques télégrammes tels que « Marie Chantal et ses
enfants envoient tous leurs meilleurs voeux à leurs parents » arrivaient de lointaines contrées sans
faire allusions aux travaux d’essais ou aux péripéties rencontrées.
Et des aventures, il y en eu ! La plus célèbre restera certainement celle où Pierre Dreyfus envoya
la Renault 4 dans le fond d’un ravin en Sardaigne. Cet accident, qui aurait pu être dramatique, fut
caché à l’ensemble du personnel Renault et obligea Louis Buty, l’infortuné passager de Pierre
Dreyfus, à inventer une rocambolesque histoire d’accident en Italie pour expliquer les nombreux
points de sutures bardant son visage et sa vertèbre luxée. Pierre Dreyfus rétablira la vérité en
public quelques années plus tard en lui remettant l’Ordre National du Mérite.
« Prenez le volant ! »
Juin 61, une caravane de camions bâchés achemine des prototypes de la future Renault 4 aux
quatre coins de la France afin de présenter la petite dernière aux concessionnaires du réseau
Renault. Plusieurs réunions sont organisées, une par zone commerciale, avec à chaque fois la
location d’un parc gardé pour l’occasion par la gendarmerie ! Les 3500 agents de la marque vont
recevoir un dossier très complet leur présentant la voiture de fond en comble. Côté grand public,
c’est une toute nouvelle Renault que découvrent les visiteurs du salon de l’auto qui se déroule
encore dans le cadre grandiose du Grand Palais.
En marge du salon une vaste opération de promotion, baptisée « Prenez le volant », est organisée
dans les rues de Paris. Deux cent Renault 4 sont mises à la disposition des automobilistes qui
désirent en faire l’essai. Cet événement sera un succès et près de 60 000 parisiens se relaieront
au volant pour découvrir cette toute nouvelle auto. Nouvelle de part sa forme, nouvelle de par les
solutions techniques qu’elle utilise mais aussi et surtout nouvelle de part le concept qu’elle
propose : urbaine sans être snob, utilitaire sans être rude. La nouvelle Renault 4 - déclinée en
quatre modèles R3, R4, R4L, R4L Super Confort - est capable de s’adapter à tous les milieux et à
tous les modes de vie…
Les générations 4L
Produite de 1961 à 1992, la Renault 4, généralement désignée aujourd’hui sous l’appellation
devenue générique de 4L, a connu trois générations de clientèles, évidemment différentes ou
plurielles comme ces jeans, passés de l’habit utile au vêtement symbole de la jeunesse, avant
d’être le pantalon de tous. Au cours des années 1960, les possesseurs de Renault 4 sont des
acheteurs séduits par le bi-corps et l’espace intérieur sans égal. Un choix audacieux qui voit
Renault se décaler du marché de renouvellement de la 4 CV. La marque ouvre un autre registre,
ne conservant que la seule rusticité du produit : la Renault 4 respire la simplicité du fait de ses
équipements pauvres, de ses couleurs un rien tristounettes, soit des éléments qui contribuent à
l’atteinte d’un prix de vente concurrentiel.
Comme un Levis, la petite Renault a des numéros – R3 ou R4 –, une façon de mieux s’adapter
aux usages de ses clients, et d’offrir des coupes légèrement différentes : la R3, c’est le
dépouillement absolu, avec juste quatre vitres ; la R4, c’est l’austérité garantie, mais avec des
troisièmes vitres latérales qui donnent le statut – théorique – de limousine ! La R4 Super, c’est le
luxe à la mode Billancourt, avec un hayon arrière ouvrant vers le bas, et accueillant une vitre
arrière conçue pour y coulisser. Du sur mesure dans la même étoffe.
La Renault 4 revendique la notion d’automobile outil de travail. Blanche ou grise pour les artisans,
bleue sombre pour la Gendarmerie, couleur ciel pour EDF-GDF ou jaune vif pour les PTT, la
Renault 4 s’habille aux couleurs de ses employeurs sans rien renier de sa tenue de travail, à
l’image encore de ces jeans qui, grâce à leur solidité, commencent à remplacer les bleus de travail
et les salopettes de chantier. Mais en 1963, elle s’offre une version Parisienne, jean noir avec
poches cannelées, dernier élément d’une polyvalence où la femme a désormais sa voiture.
La génération suivante est celle des années 1970. La jeunesse accède peu à peu l’automobile,
garçons comme filles, dans la logique de la mode unisexe du moment. La Renault 4 s’émancipe.
Plus que jamais, la Renault 4 reste la voiture blue jean. L’indémodable jean n’est-il pas aussi en
train de sortir du bleu indigo pour des teintes délavées ? Et l’évolution s’accélère. Alors que cet exbleu
de travail s’orne de pattes d’éph, se brode d’insignes peace and love, la Renault 4 devient la
voiture fétiche d’une jeunesse curieuse et différente, baba-cool et insouciante. Elle est chantée par
Michel Fugain et son Big Bazard, sur les notes de C’est la fête. Tout un symbole qui préfigure la
voiture à vivre.
La Renault 4 des années 1980 est à l’image du jean, porté par les jeunes et les moins jeunes, les
hommes et les femmes, au travail comme en week-end, quelle que soit la saison et le pays. À la
banalisation du jean, ou à son universalité, colle la démocratisation de Renault 4. Elle n’est la
voiture de personne puisqu’elle est celle de tous : elle gomme les âges et les catégories sociales,
elle s’adapte à toutes les cultures. Voiture mondiale, mais sans le dire, puisque le mot n’existe
pas ! Et puisque la toile Denim s’encanaille dans des tenues variées, la Renault 4 s’offre aussi de
nouvelles séries. Elle le fait tant pour le plaisir (Safari), l’écologie (GTL), la mode (Jogging, Sixties),
la jeunesse (Carte Jeunes) ou l’histoire (Bye-Bye) !
Mais l’histoire ne s’arrête pas en 1992. Près de 2 décennies plus tard, la Renault 4 est toujours
présente dans le paysage automobile, chacun y trouvant la fonctionnalité - ou la passion - qu’il
veut : des clubs très actifs fleurissent aux 4 coins du monde et les nombreux exemplaires
survivants sont restaurés, modifiés, engagés dans des raids dont l’incontournable 4L Trophy ou
plus simplement utilisés quotidiennement par plusieurs générations de « trelleurs ».
La 4L est devenue un produit culte et intemporel, le jean de l’automobile !
La Renault 4, une destinée internationale
Pierre Dreyfus l’a martelé dès son entrée en fonction à la présidence de la régie Renault en mars
1956 : l’entreprise doit exporter à terme 50 % de sa production. Dans l’immédiat Renault fait de la
dernière née de la marque, la Dauphine, le produit de conquête des marchés étrangers. Avec
succès, malgré une aventure commerciale aux États-Unis décevante. La Renault 4, pour laquelle
l’empreinte de Pierre Dreyfus est très forte, s’inscrit délibérément dans cette logique internationale,
devenant l’arme de conquête de Renault. Mais à une condition : que son concept novateur plaise.
« Il est évident que nous devons vendre la Renault 4 à l’étranger ; c’est l’un des buts essentiels de
ce modèle » annonce Pierre Dreyfus dès octobre 1961.
La R4 dans le Marché Commun
Pierre Dreyfus a le sens de l’histoire. C’est un Européen convaincu, qui a fait une partie de ses
études hors de France, qui mesure la nécessité politique et économique d’un rapprochement
européen. La signature du traité de Rome en mars 1957 est pour lui « un événement majeur
capable de dépasser des erreurs passées, et d’inventer de nouvelles logiques » qui fait naître le
1er janvier 1958 le Marché Commun. Sa mise en place sera progressive puisqu’elle durera dix ans,
avec un abaissement des droits de douane de 10 % par an, chez les six partenaires, la France,
l’Allemagne, l’Italie et les trois pays du Benelux. Pierre Dreyfus est sans équivoque : « Ce sera
l’honneur de la régie Renault que de sortir de ses frontières, et de jouer un rôle moteur dans la
construction du Marché Commun ». Reste qu’un tel changement des marchés nécessite des
efforts importants et coûteux, à commencer par une politique d’implantation commerciale. Les
réseaux de distribution restent inégaux : Renault ne peut compter dans l’immédiat sur le Benelux.
La marque est présente aux Pays-Bas et en Belgique depuis 1904 et 1908, puis a construit des
filiales de ventes en 1922 et 1928, avec l’Agence Commerciale Belge des Automobiles Renault,
qui assure aussi les ventes au Luxembourg, et l’Afdelling Holland à La Haye.
La situation est moins aisée en Allemagne et en Italie où les lendemains de la Reconstruction ont
été complexes. Si Renault a installé une filiale de vente à Berlin dès 1908, Renault Automobil AG,
la division de l’Allemagne entre celles de l’Ouest et de l’Est a bouleversé la donne : Renault doit se
repositionner uniquement à l’Ouest, et reconstruire un réseau autour d’une nouvelle filiale installée
à Cologne en 1960, puis déplacée à Brühl, Renault Automobil AG. La réorganisation de Renault se
réalise donc tardivement, misant de ce fait sur les Dauphine et très vite sur la Renault 4 pour
s’imposer sur un marché largement dominé par la Coccinelle. Sur ce point, Renault est confiant,
car la Renault 4 est si différente de la Volkswagen qu’elle n’entre pas en concurrence avec elle.
Reste enfin l’Italie. Très peu présent en Italie, du fait de la domination de la Fiat, la Régie signe en
1958 un accord de collaboration avec le grand concurrent de Turin, Alfa Romeo. Cette firme
partage avec Renault le statut de firme nationalisée. L’accord est très ambitieux puisque les
revendeurs Alfa Romeo vendront en Italie des Renault, au même titre que le réseau Renault en
France distribuera des Alfa Romeo. L’envie d’en découdre avec Fiat voit Alfa Romeo proposer ses
usines pour monter des Dauphine, en attendant avec impatience les Renault 4, révélées à Alfa
Romeo avant leur lancement !
La Renault 4 arrive en octobre 1961, au moment où Renault vient de structurer toutes ses
positions commerciales dans les pays du Marché Commun. Le résultat est immédiat. En 1962,
Renault a un portefeuille de 7 500 commandes de Renault 4 en France et de près de 5 000 en
Europe : on compte 1 400 voitures en Allemagne, avec une prise de commandes de 65 voitures
par jour en moyenne ; 2 280 voitures en attente de livraison en Italie, avec 80 bons de commande
quotidiens ; le Benelux n’est pas en reste avec 90 commandes par jour sur les trois pays. Les
cadences de production de l’île Seguin, fixées alors à 400 voitures par jour compte tenu de
l’outillage encore incomplet, doivent au plus vite passer à 500 pour satisfaire cette Europe qui, à
l’évidence, devient le grand marché de la Renault 4.
Le marché va s’élargir avec la démocratisation de l’automobile et le développement des clientèles,
élément structurant des années 1960 et 1970. Ce marché profite du plein emploi et des hausses
salariales, mais aussi de l’émergence des classes moyennes et de l’arrivée, partout en Europe,
d’une jeunesse pour laquelle l’évasion et les voyages constituent un mode de vie. Les marchés de
la Renault 4 bénéficient ensuite de l’élargissement de la CEE au Danemark, à l’Irlande et au
Royaume-Uni, et plus encore à la Grèce, au Portugal et l’Espagne. Renault parvient même à
entrer dans une Europe de l’Est très fermée, toutefois entrouverte grâce au bon vouloir des
autorités yougoslaves qui acceptent d’importer des Renault 4, plus tard de les fabriquer, et même
d’en revendre quelques unités dans les pays voisins.
De l’exportation au montage local
La Renault 4 séduit les clientèles des pays méditerranéens, avec comme marché leader l’Italie. Le
développement de Renault est impressionnant puisque la marque obtient, fin 1962, une
pénétration de 3,8 % du marché, soit un score équivalent à celui d’Alfa Romeo et de Lancia. Mais
Alfa Romeo refuse de monter les cadences de la Renault 4 et décide de créer un second réseau
de distribution, séparant ses clients de ceux qui achètent une Renault 4. Renault doit à la hâte
former des petits garagistes effrayés par les us et coutumes de la vente et de l’après-vente
moderne. En outre, la législation vient en 1963 faire effondrer les ventes : de 100, celles-ci passent
à 40 par jour. Les législateurs décident une nouvelle taxation, calculée selon la longueur et la
surface au sol des automobiles ! D’un seul coup, la taxe sur la Renault 4 passe de 30 000 lires - à
l’origine la même que les Fiat 500 et 600 - à 62 000 lires ! Renault tente de convaincre le
gouvernement italien qu’une 4L faite chez Alfa Romeo - qui plus est dans des usines de la holding
industrielle de l’État - est une voiture italienne et que cette législation pénalise l’économie
nationale. Mais rien n’y fait et le divorce est consommé. L’Europe montre ses rugosités, soulignant
la complexité de l’union dans des contextes de concurrence, mais aussi la difficulté du montage à
l’étranger. Pourtant, c’est bien cette solution industrielle que Renault doit envisager à l'avenir, car
bon nombre de pays limitent leurs importations pour obliger les constructeurs à monter les voitures
sur place.
C’est en l’occurrence le cas de l’Espagne où les importations automobiles sont purement
interdites. Mais la chance de Renault est de s’être engagé dès 1953 dans la construction d’une
usine à Valladolid, la FASA. La Renault 4 devient la voiture qui va changer la face de
l’internationalisation de Renault.
La Renault 4 commence à être assemblée avec l’outil industriel présent, celui qui assure en
Espagne le montage des Dauphine. Son succès est tel que Renault doit vite envisager de
nouvelles solutions, tant en matière d’usines de tôlerie que de moteurs. Un plan de développement
est lancé, avec la création d’une société de mécanique, la FACSA, et une société de carrosserie,
la FAMESA. Les contraintes financières obligent d’une part Renault à demander l’appui de la
Banco Iberico, d’autre part à apporter, via sa filiale financière suisse – Renault Holding –, 200
millions de pesetas entre 1964 et 1965. Si l’événement permet à Renault de prendre le contrôle
financier de la FASA, il la pousse surtout à se doter d’un outil industriel calqué sur celui mis au
point en France. La FASA devient une des composantes à part entière du système productif, au
même titre que l’usine belge de Haren qui, elle aussi, engage la production de Renault 4. Le
succès de la 4L redessine les frontières de Renault, et anticipe les contours de l’Europe de
demain.
La pionnière de la mondialisation
Contrairement aux prévisions liées au projet 112, la Renault 4 connaît un succès bien au-delà des
frontières de l'Europe. Si les prototypes ont bien été essayés sur les pistes africaines de Guinée
ou les routes gelées du Minnesota, c’était bien plus pour rechercher les conditions extrêmes
d’utilisation que pour préparer les Renault 4 à ces conditions spécifiques de roulage. Dès 1961,
Pierre Dreyfus interroge la direction commerciale sur la vente de la Renault 4 aux États-Unis. Les
avis sont si mitigés que la décision est repoussée… à 1962 où l’idée d’écouler la Renault 4 au
Canada est sur le point d’être prise, en sachant pertinemment qu’un lancement au Canada conduit
aux États-Unis ! Mais faute d’une après-vente suffisante, la décision est une nouvelle fois
repoussée.
C’est en Amérique latine que la Renault 4 connaît un vrai succès. De 1950 à 1967, Renault
s’implante de façon très structurée sur un continent qu’il considère comme devant devenir à terme
un marché unique, notamment au moment où plusieurs pays négocient le Pacte Andin dont
l’aboutissement conduira, trente ans plus tard, à la création du Mercosur. Argentine, Chili, Brésil,
Colombie, Mexique, Pérou, Uruguay et Venezuela, Renault compte huit usines, puis sept, car la
Régie doit quitter le Brésil en 1968. Elles couvrent l’ensemble d’un continent dont la clientèle est
proche de la culture européenne et surtout hispanique, préférant acheter français plutôt
qu’américain, ne serait-ce que pour montrer son hostilité à l’impérialisme Yankee. Un vrai ressenti
politique d’autant plus que Renault a annoncé en 1960 vouloir construire une usine à Cuba pour la
Renault 4. Le projet sera finalement abandonné très vite par crainte des représailles au moment
où la Régie envoie 500 Dauphine par jour aux États-Unis !
Fort de toutes ces installations, la Renault 4 est au coeur d’une organisation industrielle très
novatrice, car complémentaire : le Chili fournit les boîtes de vitesses à la Colombie et l’Argentine.
Celle-ci paie sa facture au Chili contre des éléments de carrosserie. Quant à la Colombie, elle
s’occupe des cardans de tous ces modèles et fabrique des moteurs ; elle les envoie au Chili et en
Argentine et reçoit en échange des boîtes de vitesses et les éléments de carrosseries. Renault
choisit une politique de développement partagée. Développement de ses ventes, mais
développement aussi des pays où l’entreprise s’installe. Car la logique de Renault est bien
d’accepter de confier à des usines étrangères la fabrication de "pièces et d’éléments nobles"
comme les moteurs et les boîtes de vitesse. C’est ce que les Américains refusent pour garder le
contrôle de leur production et la main sur des usines et des économies lointaines. La Renault 4
deviendra un véhicule majeur du paysage automobile sud-américain, avec une proportion qui frôle
les 25 % de la production globale du modèle !
Mais l’internationalisation de la Renault 4 montre une autre facette de l’histoire de la marque et du
produit. La Renault 4 participe au développement des pays jeunes, de ceux qui forment alors le
Tiers Monde, mais aussi de ces nations nées de la décolonisation. Renault participe à
l’industrialisation de l’Afrique du Nord et l’Afrique noire, en aidant à la construction d’usines
automobiles, point de départ d’une plus large politique d’industrialisation. C’est ici la clé d’une
véritable indépendance. Aciéries, industries mécaniques, chimiques ou textiles, toutes ces
branches d’activité peuvent se développer, en commençant par devenir les fournisseurs ou les
sous-traitants de l’automobile. Grâce à ce modèle, Renault est présent en Algérie, en Côte
d’Ivoire, à Madagascar, au Maroc, en Tunisie et au Zaïre.
Cet engagement politique ne peut masquer d’autres aspects bien plus économiques et financiers.
Pour des raisons fiscales, et notamment la volonté de limiter les taxes d’importation, de plus en
plus lourdes dans les années 1960-70, la Renault 4 est assemblée ou fabriquée selon les cas -
c’est-à-dire avec plus ou moins de composants locaux – par des industriels sous contrat. Ainsi,
dans plusieurs pays, la 4L est produite dans des usines indépendantes, parfois aux côtés de
véhicules de marques concurrentes. C’est surtout le cas dans les anciennes colonies britanniques,
en Afrique du Sud, en Australie ou en Nouvelle-Zélande.
De ces exemples si différents, reste l’essentiel : avant même que n’existe le mot mondialisation, la
Renault 4 répond à des aspirations communes de mobilité, des besoins pratiques et simples de
transport ou des notions essentielles d’outil de travail. La Renault 4 se révèle une voiture
mondiale, présente sur tous les continents. Avec probablement une réserve. Sa présence est
faible en Asie. C’est la rançon d’une concurrence locale très forte, peut-être aussi d’une moins
bonne adaptation à des marchés spécifiques où les deux et trois roues dominent, mais aussi d’une
absence structurelle de Renault dans cette partie du monde jusqu’à la fin des années 1980. Il
n’empêche. De 1961 à 1992, la Renault 4 a esquissé, puis dessiné une vision globale de
l’automobile, faisant connaître ce modèle dans le monde entier et même emblématique d’un
savoir-faire et d’un savoir-vivre..
Troisième modèle1 le plus vendu dans l'histoire de l'automobile et première voiture
française la plus vendue dans le monde avec plus de huit millions d'exemplaires,
commercialisée dans plus de cent pays, la Renault 4 est une icône. En 2011, Renault fêtera
ses 50 ans. À cette occasion, Histoire & Collection participera à plusieurs grands
évènements. La Renault sera inscrite au rallye Monte-Carlo historique et présente au salon
Rétromobile en février prochain. Elle sera également à l'honneur lors de la troisième édition
du 4L International qui aura lieu en juillet prochain dans la région des Châteaux de la Loire.
La Renault 4 est née d'un concept. En 1956, Pierre Dreyfus, président de la Régie nationale des
Usines Renault, lance le projet de "la voiture blue-jean". À l'instar de ce vêtement devenu
universel, il souhaite une voiture polyvalente, économique, mondiale, adaptée à l'évolution des
sociétés qui se dessine à l'aube des années 60.
Après cinq ans de développement, la Renault 4, première voiture particulière de la marque à
traction avant de la marque, est dévoilée à la presse puis au Salon de l'Auto en 1961. À son
lancement, trois versions et une fourgonnette sont présentées ; la R3 qui disparaîtra l'année
suivante du catalogue, la R4 et la R4L, L pour luxe, qui deviendra très rapidement le surnom de la
Renault 4 dans le coeur des Français.
Elle séduit tout de suite par son habitacle sans égal, son faible coût d'utilisation et sa capacité à
s'adapter à tous les besoins de ses utilisateurs. Seulement six ans après son lancement, la
Renault 4 dépasse le cap du millionième exemplaire produit. Les records ne cesseront alors de
tomber pour atteindre une production totale de 8 135 424 unités en trente et un ans de carrière.
La Renault 4 rencontre également le succès à l'étranger. Elle est produite ou assemblée dans
27 pays (hors France), aussi lointains que l'Australie, l'Afrique du Sud, le Chili ou les Philippines.
Sur dix voitures vendues, six l'ont été hors de France.
1 Après la Volkswagen Coccinelle et la Ford T (des modèles n'étant plus commercialisés aujourd'hui).
Pendant sa longue période de commercialisation, la Renault 4 sera déclinée en fourgonnette, en
version quatre roues motrices, en cabriolet. Des variantes (la Rodeo) et de nombreuses séries
spéciales seront proposées dont les plus célèbres en France resteront la Parisienne (1963), la
Safari (1975), la Jogging (1981) et la Sixties (1985).
Elle bénéficiera d'un championnat à son nom, sera utilisée par des jeunes pour découvrir le
monde, participera à des épreuves mythiques comme le rallye de Monte-Carlo ou le rallye raid
Paris-Dakar où elle finira sur la troisième marche du podium.
En 1992, une série spéciale numérotée Bye-Bye clôt cet incroyable succès. La Renault 4 sera
encore produite en faible quantité en Slovénie et au Maroc jusqu'en 1994.
Pour fêter ses cinquante ans, Renault organise ou participe à plusieurs grands évènements tout au
long de l'année 2011. Voici les principaux rendez-vous.
Exposition Modulo 4
Une exposition itinérante sera présente lors des différents rassemblements automobiles 2011
(Rétromobile, World Séries by Renault, exposition à Autoworld à Bruxelles, au Musée national de
l'automobile à Mulhouse, etc). Conçue par Histoire & Collection, elle retrace autour de treize
modèles, l'histoire et toutes les qualités de la Renault 4.
Trois Renault 4 inscrites au rallye Monte-Carlo Historique 2011
Clin d’oeil à l’engagement d’équipages officiels au volant de Renault 4 aux éditions 1962 et 1963
du mythique rallye de Monte-Carlo, Renault Histoire & Collection a préparé trois Renault 4 pour le
rallye Monte-Carlo Historique 2011 qui se déroulera du 27 janvier au 2 février. Ces trois
exemplaires ont été entièrement démontés avant d’être révisés et remontés dans les règles de
l’art. Ces modèles sont équipés pour affronter les 2 500 kilomètres de route qui attendent les trois
équipages emmenés par Jean Ragnotti, ‘‘Manu’’ Guigou et Michel Duvernay.
Renault au salon Rétromobile
Les 50 ans de la Renault 4 sont l’occasion pour Renault d’être à nouveau présent au salon
Rétromobile qui se déroulera du 2 au 7 février 2011 à la Porte de Versailles à Paris. Sur un stand de 700 m², les visiteurs pourront (re)découvrir une douzaine d'exemplaires de la Renault 4 grâce à
l'exposition Modulo 4. À cette occasion, une Renault 4 Miss Sixty sera exposée (cf. plus loin).
Le rassemblement 4L International
Pour la troisième année consécutive, le meeting 4L International, qui réunit des passionnés de
toute l’Europe et même au-delà, se tiendra en France à Thenay (Loir-et-Cher) du 15 au 17 juillet
2011. Soutenue par Renault Histoire & Collection depuis sa création par la revue 4L Magazine,
cette édition qui revêt un caractère tout particulier en cette année du cinquantenaire, attend
plusieurs milliers de participants. Parmi les très nombreuses activités qui seront proposées, une
tombola permettra de gagner la Renault 4 avec laquelle Jean Ragnotti aura participé au rallye
Monte Carlo Historique 2011.
Renault 4 Miss Sixty
Faisant référence au nom Miss Sixty et au blue-jean, cher à Pierre Dreyfus, la Renault 4 Miss Sixty
est un clin oeil à la série spéciale Twingo Miss Sixty présentée au Mondial de l’Automobile de Paris
2010. La Renault 4 Miss Sixty est un exemplaire unique, conçu par la Direction du Design de
Renault en collaboration avec les équipes de Miss Sixty et réalisée par Renault Histoire &
Collection pour célébrer les 50 ans du modèle.
Basée sur une Renault 4L de 1965, elle se distingue de la version d’origine par sa teinte
spécifique, ses strippings sur le capot, l’aile arrière gauche et sur deux de ses roues ainsi que par
le traitement de ses feux arrière ou encore par son intérieur entièrement reconditionné en jean gris
avec coutures et broderies roses.
Carte d’identité de la Renault 4
Lancement du projet :
• En 1956.
Nom du projet :
• Projet 112.
• En interne le projet sera surnommé « 350 » en référence au prix annoncé dans le cahier des
charges (350 000 francs).
1ère présentation :
• Presse : août 1961 en Camargue.
• Grand Public : au Salon de l’auto de Paris en octobre 1961.
Nombre de pays de fabrication/assemblage :
• 28 pays (dont la France).
Nombre de pays de commercialisation :
• Plus de 100.
Fin de production :
• Le 3 décembre 1992, Renault annonce par communiqué de presse la fin de vie de la
Renault 4, seuls deux sites continueront à produire la Renault 4 au-delà de cette date et
jusqu’en 1994 : le Maroc et la Slovénie.
Nombre total d’exemplaires produits :
• Chiffre officiel : 8 135 424
• La Renault 4 est le 3ème véhicule le plus vendu au monde2 derrière la Volkswagen Coccinelle et
la Ford T.
Noms et surnoms de la Renault 4 :
• En Italie, la JP4 fût commercialisée sous le nom de "Frog" ;
• En Espagne, elle est surnommée "Cuatro latas" (quatre boîtes) ;
• En ex-Yougoslavie, elle est surnommée "Katcra" (Catherine) ;
• En Tunisie, elle est appelée "R4 Monastir" du nom de la ville natale du président Bourguiba ;
• En Rhodésie du Sud (Zimbabwe), elle est surnommée "La voiture de Oui Oui" ;
• En Argentine, elle est surnommée "El Correcaminos" (la coureuse de chemins) ;
• En Finlande, elle est surnommée "Tiparellu" (gouttelette).
• Une compétition dédiée : Coupe de France Renault Cross Elf de 1974 à 1984.
• Les principaux types de motorisation : 603 cm3, 747 cm3, 782 cm3, 845 cm3, 956 cm3 et
1108 cm3.
Chronologie sélective de la Renault 4
1956 Pierre Dreyfus, Président de la Régie Nationale des Usines Renault, lance le projet de la
voiture blue-jean.
1959 Les prototypes de la future Renault 4 sillonnent les routes du monde. Des USA à la Suède
en passant par la Sardaigne ou la Guinée, ils connaissent les conditions de roulage les
plus extrêmes.
1961 6 juillet : La dernière 4CV sort des usines de Billancourt. L’ensemble de son outillage est
démonté pour faire place aux lignes de montages destinées à assembler la nouvelle
Renault 4.
août : Présentation à la presse de la Renault 4 et de la Renault 3 sur les chemins de
Camargue.
octobre : Première apparition au public de la nouvelle gamme des Renault 4 lors du salon
de l’auto au Grand Palais à Paris.
1965 La R4 devient officiellement la Renault 4.
1966 Lancement de la dotation Renault « Les Routes du Monde » qui prendra fin en 1984.
1967 Avec près de 370 000 unités par an, la Renault 4 devient la voiture française la plus
vendue sur le territoire français. En septembre, apparition de la grande calandre aluminium.
1974 Septembre : Apparition de la calandre plastique.
1977 La barre des cinq millions de Renault 4, toutes versions et carrosseries confondues, est
franchie. Renault devient le premier constructeur automobile européen.
1980 À bord de leur Renault 4, les frères Marreau terminent à la 3ème place du rallye Paris-Dakar.
1985 Le cap des sept millions de Renault 4 vendues est atteint.
1988 La Renault 4 fait ses adieux au marché allemand avec la série limitée "Salü"
(500 exemplaires) après 27 ans de succès et plus de 900 000 exemplaires importés. La
version fourgonnette disparaît du catalogue français.
1992 Les mille dernières Renault 4 quittent l’usine de Billancourt. Ce sont des modèles GTL Clan
qui auront la particularité d’arborer une plaque commémorative sur la planche de bord avec
l’inscription « Bye-bye ».
Le 3 décembre, Renault annonce par communiqué de presse la fin de vie officielle de la
Renault 4. Seuls deux sites continueront à la produire au-delà de cette date et jusqu’en
1994 : le Maroc et la Slovénie.
La production des Renault 4 aura dépassé les 8 130 000 exemplaires.
Les séries limitées et les dérivés
1963 Versions 4 roues motrices Sinpar (jusqu’à la fin de la production).
1963 Parisienne.
1968 Plein Air.
1970 Rodéo, dérivé de la R4 fabriqué par ACL.
1975 Série limitée Safari.
1981 JP4, dérivé de la R4 fabriqué par CAR Système.
Série limitée Jogging (5000 exemplaires).
1982 Série limitée Shopping, produite en Belgique à 300 exemplaires.
1985 Série limitée Sixties (2200 exemplaires).
1988 Série imitée Salü pour la fin de vie en Allemagne (500 exemplaires).
1991 Série limitée Carte Jeunes.
1992 Série limitée Bye-Bye pour la fin de vie en France (1000 exemplaires).
La Renault 4, la voiture blue-jean
« La voiture blue-jean », cette nouvelle philosophie de l’automobile développée par le visionnaire
Pierre Dreyfus donnera naissance à l’icône qu'est devenue la Renault 4, qui 50 ans après, reste
l'une des voitures les plus produites de l'histoire de l'automobile.
Une gamme de prêt à porter
Les premières études de la Renault 4 démarrent en 1949 avec le projet 109, directement issu de la
4 CV mais plus habitable et légèrement plus puissant. Il peine toutefois à émerger. En septembre
1952, les ingénieurs des études engagent une seconde réflexion sur le remplacement de la 4 CV,
reposant sur deux données incontournables. D’abord, la nécessité d’imaginer une quatre places
aux performances et à la consommation très proches de celles de la 4 CV. Ensuite, la
détermination d’un prix de vente fixé à 300 000 francs. Le service des études de marché de
Renault insiste sur la nécessité de proposer le futur modèle en plusieurs versions, notamment en
« une berline populaire, un modèle semi-utilitaire et un utilitaire ».
De cette idée maîtresse, les ingénieurs mesurent combien l’architecture de la 4 CV et notamment
son moteur arrière sont incompatibles avec la notion de modèle utilitaire. Pour résoudre la
question des trois versions, Fernand Picard s’intéresse à la création d’un châssis, de type plateforme,
avec une idée encore assez floue de carrosseries interchangeables. Or l’abandon de la
monocoque – un élément considéré comme essentiel dans l’allègement des caisses et
l’abaissement des coûts de fabrication – s’accompagne d’une révolution en matière de
carrosserie : la possibilité de voir le client habiller sa voiture chez le concessionnaire ! Cette
politique du prêt-à-porter automobile verrait les revendeurs Renault installer, à la demande des
clients, les éléments de distinction entre la berline, le semi-utilitaire et l’utilitaire. Elle permettrait
même d’avoir dans son garage une garde-robe automobile, ou pourquoi pas d’instaurer un
système de location de carrosseries, voire d’échange standard, aussi bien en neuf qu’en
occasion ! Toutes ces pistes sont étudiées d’autant plus que les nouvelles matières plastiques
pourraient devenir le matériau idéal pour ces carrosseries à la carte. Dernier élément, et non des
moindres, le choix de « l’ensemble mécanique ». Celui-ci, écrit Picard, « doit être démontable et
interchangeable, ce qui conduit à l’adoption de la formule traction-avant ».
Ce n’est qu’en 1954 que Pierre Lefaucheux tranche, et décide l’industrialisation du projet qui
deviendra la Dauphine en 1956. C’est à ce moment que l’avant-projet de 1952 passe au stade de
l’étude, sous le n°112, avec pour tâche de bel et bien remplacer la 4 CV !
« Faites-moi donc un volume »
La mort accidentelle de Pierre Lefaucheux le 11 février 1955 et la nomination de Pierre Dreyfus à
la tête de la régie Renault le 27 mars ont un impact très fort sur le projet de remplacement de la
4 CV. Haut fonctionnaire au ministère de la Production industrielle, et à ce titre vice-président de la
Régie nationale depuis 1948, Dreyfus connaît tout de Renault. Le 2 janvier 1956, Dreyfus fait
entrer aux Études Yves Georges aux côtés de Picard. Plus que le confrontation d’un jeune
Polytechnicien face à un ingénieur expérimenté des Arts & Métiers, cette nomination correspond à
une vision plus scientifique des Études, « à la prépondérance du calcul et de la prévision sur le
pragmatisme et les essais ».
Alors que Picard se met de lui-même en retrait, Georges et Dreyfus entament une collaboration
féconde, croisement et synthèses des idées à priori différentes de l’intellectuel et de l’ingénieur.
Dreyfus regarde l’automobile avec l’oeil et le sens de l’analyse d’un sociologue. Dreyfus se dit
frappé par le fait que Renault ne propose des voitures « que pour les citadins ». Des voitures de
ville en somme, alors que Citroën est sur les voitures des champs. Dreyfus s’interroge aussi sur le
conformisme de l’automobile, au point d’aller résolument à son encontre : « La voiture ne doit plus
être des fauteuils et une malle. Faites-moi donc un volume », glisse-t-il à Georges.
Dreyfus veut une voiture adaptée à une société en pleine évolution, en France, mais aussi dans
ces pays qui seront demain les partenaires d’une Europe des Six. Partout, la population déserte
les campagnes, dans un large mouvement où la modernité commence par l’exode rural. Ces
nouveaux urbains ne viennent pas dans les centres-villes, ils se dirigent vers de nouveaux
quartiers urbains qui tendent à s’allonger pour se prolonger en banlieue. C’est un nouveau monde
où se densifie une population active, où s’égrainent les nouvelles classes moyennes. La banlieue
devient un nouveau lieu, mi-urbain, mi-rural, une sorte de ville à la campagne. Le trait est
parfaitement dessiné pour Dreyfus : c’est la fin de la voiture des villes si différente de la voiture des
champs. Il faut inventer l’automobile polyvalente. Mais cette polyvalence ne tient pas qu’au lieu.
L’étirement de l’habitat et l’absence de réseaux de transports collectifs donnent une place
primordiale à l’automobile. Celle-ci doit être un outil de travail du lundi au vendredi puis devenir les
samedis et dimanches la voiture d’une famille partant en week-end ou, l’été, en vacances. Reste
enfin une dernière évolution, lente, mais essentielle et qui s’amplifie au fil des ans, la place et le
rôle de la femme dans la société. Grâce au plein emploi, l’arrivée du deuxième salaire bouscule les
catégories sociales et les schémas familiaux ; il accélère la consommation, dont celle de
l’automobile. Le produit est justement adopté par les femmes : non seulement le nombre de permis
de conduire tend enfin à s’égaliser entre les sexes, mais les femmes utilisent l’automobile au point
de jouer un rôle décisif dans l’achat.
Pour Dreyfus, la voiture de demain se décline sur les polyvalences : elle doit être à la fois celle des
villes et des campagnes, de la semaine et des week-ends, du travail et des vacances, de l’homme
et de la femme. C’est là que le terme de « voiture blue-jean » va prendre toute sa mesure.
Voiture blue-jean et révolution technique
La « voiture blue-jean » s’écarte des conventions, à l’image de ce vêtement « que l’on peut porter
en toutes circonstances si l’on n’a pas de prétention au snobisme et au conformisme social,
explique Dreyfus, [un habit] qui vous rend tous les services, qu’on traîne partout, qui ne coûte pas
cher, qu’on peut remplacer sans se sentir dépaysé… » Pantalon de travail fabriqué autour d’une
toile denim inusable, le jean est tour à tour la salopette distribuée aux ouvriers du New Deal aux
États-Unis, un pantalon populaire, puis un phénomène de mode pour les populations estudiantines
et artistiques, avant d’entrer dans les garde-robes féminines. Plus rebelle que révolté, unisexe et
égalitariste, il est autant l’habit de James Dean ou de Marlon Brando que celui des hippies qui se
l’approprient en le personnalisant de broderies ou de pattes d'eph.
L’automobile aura son jean. Et Pierre Dreyfus, en reprenant l’étude 112 en 1956, commence par
en fixer le prix. Ce sera 350 000 francs, et pas un sou de plus ! Le message est si net que les
concepteurs vont tout bonnement appeler le projet « la 350 ». Autant dire que l’étude de la voiture
part d’un coût, soit une méthode tout à fait inhabituelle pour l’époque. De cette obligation naît l’idée
de conserver le moteur 747 cm3 et la boîte de vitesses de la Dauphine. L’équipement intérieur sera
chiche : la 350 sera bon marché par les éléments qu’elle n’aura pas. Quant au design, il ne sera
pas au coeur des préoccupations. Dreyfus en fixe lui-même les limites : La 350 devra être moins
moche que la concurrence directe, mais surtout pas coquette comme la Dauphine.
Pour rendre la voiture polyvalente, l’idée première est le plancher plat, qui permet un chargement
sans difficulté. S’ajoutent évidemment trois éléments, l’absence de jupe arrière, l’abaissement
maximal du seuil de chargement et l’ouverture de la voiture à l’arrière par l’intermédiaire de ce que
l’on nomme alors « la porte de service », le futur hayon. Ce schéma architectural si nouveau
bouleverse la culture technique de Renault (venant juste après l’utilitaire Estafette apparu en 1959,
la Renault 4 est la première berline à roue avant motrices de Renault), mais aussi celle de
l’automobile : la régie invente en effet une carrosserie à deux volumes, composé d’un
compartiment moteur d’une part, et d’un ensemble coffre à bagages-habitacle qui ne fait plus
qu’un ; l’habitabilité est à même d’évoluer au gré des besoins, en basculant la banquette arrière, et
en faisant ainsi passer la voiture d’un utilitaire à une familiale.
Quant à la voiture solide et passe-partout, inusable comme une toile denim, Renault choisit des
suspensions indépendantes à barres de torsion qui offrent un grand débattement, permettant
d’emprunter aussi bien les chemins de terre que les routes nationales. Si le jean ne se repasse
pas, la 350 n’a plus de contraintes d’entretien : fini les points de graissage et le niveau d’eau à
surveiller : la mise au point d’un circuit scellé de refroidissement. Grâce à son vase d’expansion
(une innovation Renault) qui récupère le surplus de liquide dilaté par la température, le circuit de
refroidissement fonctionne en circuit fermé, sans pertes ni rajouts. Cette première permet à
l’utilisateur de la Renault 4 de ne pas se soucier de la question du niveau de liquide et
accessoirement le dédouane d’avoir à rajouter de l’antigel durant l’hiver. Pas de soucis non plus en
ce qui concerne le graissage puisque les articulations sont protégées par des soufflets étanches. A
une époque où encore bien des automobiles imposent de longues opérations d’entretien, la
nouvelle Renault annonce l’ère de la voiture sans soucis…
Marie Chantal vous salue bien
Depuis l’affaire de l’Auto Journal et la traque des prototypes de la DS, les constructeurs organisent
leurs essais dans le plus grand secret. Les voitures sont envoyées le plus loin possible avec mille
précautions. L’équipe d’essai de Louis Buty est chargée de mener les prototypes de la Renault 4
aux quatre coins du monde afin d’en éprouver la solidité et de parfaire la mise au point. Afin de ne
pas éveiller la curiosité, aussi bien à l’intérieur de l’usine qu’à l’extérieur, il fut convenu de baptiser
la voiture « Marie Chantal ». Ainsi de laconiques télégrammes tels que « Marie Chantal et ses
enfants envoient tous leurs meilleurs voeux à leurs parents » arrivaient de lointaines contrées sans
faire allusions aux travaux d’essais ou aux péripéties rencontrées.
Et des aventures, il y en eu ! La plus célèbre restera certainement celle où Pierre Dreyfus envoya
la Renault 4 dans le fond d’un ravin en Sardaigne. Cet accident, qui aurait pu être dramatique, fut
caché à l’ensemble du personnel Renault et obligea Louis Buty, l’infortuné passager de Pierre
Dreyfus, à inventer une rocambolesque histoire d’accident en Italie pour expliquer les nombreux
points de sutures bardant son visage et sa vertèbre luxée. Pierre Dreyfus rétablira la vérité en
public quelques années plus tard en lui remettant l’Ordre National du Mérite.
« Prenez le volant ! »
Juin 61, une caravane de camions bâchés achemine des prototypes de la future Renault 4 aux
quatre coins de la France afin de présenter la petite dernière aux concessionnaires du réseau
Renault. Plusieurs réunions sont organisées, une par zone commerciale, avec à chaque fois la
location d’un parc gardé pour l’occasion par la gendarmerie ! Les 3500 agents de la marque vont
recevoir un dossier très complet leur présentant la voiture de fond en comble. Côté grand public,
c’est une toute nouvelle Renault que découvrent les visiteurs du salon de l’auto qui se déroule
encore dans le cadre grandiose du Grand Palais.
En marge du salon une vaste opération de promotion, baptisée « Prenez le volant », est organisée
dans les rues de Paris. Deux cent Renault 4 sont mises à la disposition des automobilistes qui
désirent en faire l’essai. Cet événement sera un succès et près de 60 000 parisiens se relaieront
au volant pour découvrir cette toute nouvelle auto. Nouvelle de part sa forme, nouvelle de par les
solutions techniques qu’elle utilise mais aussi et surtout nouvelle de part le concept qu’elle
propose : urbaine sans être snob, utilitaire sans être rude. La nouvelle Renault 4 - déclinée en
quatre modèles R3, R4, R4L, R4L Super Confort - est capable de s’adapter à tous les milieux et à
tous les modes de vie…
Les générations 4L
Produite de 1961 à 1992, la Renault 4, généralement désignée aujourd’hui sous l’appellation
devenue générique de 4L, a connu trois générations de clientèles, évidemment différentes ou
plurielles comme ces jeans, passés de l’habit utile au vêtement symbole de la jeunesse, avant
d’être le pantalon de tous. Au cours des années 1960, les possesseurs de Renault 4 sont des
acheteurs séduits par le bi-corps et l’espace intérieur sans égal. Un choix audacieux qui voit
Renault se décaler du marché de renouvellement de la 4 CV. La marque ouvre un autre registre,
ne conservant que la seule rusticité du produit : la Renault 4 respire la simplicité du fait de ses
équipements pauvres, de ses couleurs un rien tristounettes, soit des éléments qui contribuent à
l’atteinte d’un prix de vente concurrentiel.
Comme un Levis, la petite Renault a des numéros – R3 ou R4 –, une façon de mieux s’adapter
aux usages de ses clients, et d’offrir des coupes légèrement différentes : la R3, c’est le
dépouillement absolu, avec juste quatre vitres ; la R4, c’est l’austérité garantie, mais avec des
troisièmes vitres latérales qui donnent le statut – théorique – de limousine ! La R4 Super, c’est le
luxe à la mode Billancourt, avec un hayon arrière ouvrant vers le bas, et accueillant une vitre
arrière conçue pour y coulisser. Du sur mesure dans la même étoffe.
La Renault 4 revendique la notion d’automobile outil de travail. Blanche ou grise pour les artisans,
bleue sombre pour la Gendarmerie, couleur ciel pour EDF-GDF ou jaune vif pour les PTT, la
Renault 4 s’habille aux couleurs de ses employeurs sans rien renier de sa tenue de travail, à
l’image encore de ces jeans qui, grâce à leur solidité, commencent à remplacer les bleus de travail
et les salopettes de chantier. Mais en 1963, elle s’offre une version Parisienne, jean noir avec
poches cannelées, dernier élément d’une polyvalence où la femme a désormais sa voiture.
La génération suivante est celle des années 1970. La jeunesse accède peu à peu l’automobile,
garçons comme filles, dans la logique de la mode unisexe du moment. La Renault 4 s’émancipe.
Plus que jamais, la Renault 4 reste la voiture blue jean. L’indémodable jean n’est-il pas aussi en
train de sortir du bleu indigo pour des teintes délavées ? Et l’évolution s’accélère. Alors que cet exbleu
de travail s’orne de pattes d’éph, se brode d’insignes peace and love, la Renault 4 devient la
voiture fétiche d’une jeunesse curieuse et différente, baba-cool et insouciante. Elle est chantée par
Michel Fugain et son Big Bazard, sur les notes de C’est la fête. Tout un symbole qui préfigure la
voiture à vivre.
La Renault 4 des années 1980 est à l’image du jean, porté par les jeunes et les moins jeunes, les
hommes et les femmes, au travail comme en week-end, quelle que soit la saison et le pays. À la
banalisation du jean, ou à son universalité, colle la démocratisation de Renault 4. Elle n’est la
voiture de personne puisqu’elle est celle de tous : elle gomme les âges et les catégories sociales,
elle s’adapte à toutes les cultures. Voiture mondiale, mais sans le dire, puisque le mot n’existe
pas ! Et puisque la toile Denim s’encanaille dans des tenues variées, la Renault 4 s’offre aussi de
nouvelles séries. Elle le fait tant pour le plaisir (Safari), l’écologie (GTL), la mode (Jogging, Sixties),
la jeunesse (Carte Jeunes) ou l’histoire (Bye-Bye) !
Mais l’histoire ne s’arrête pas en 1992. Près de 2 décennies plus tard, la Renault 4 est toujours
présente dans le paysage automobile, chacun y trouvant la fonctionnalité - ou la passion - qu’il
veut : des clubs très actifs fleurissent aux 4 coins du monde et les nombreux exemplaires
survivants sont restaurés, modifiés, engagés dans des raids dont l’incontournable 4L Trophy ou
plus simplement utilisés quotidiennement par plusieurs générations de « trelleurs ».
La 4L est devenue un produit culte et intemporel, le jean de l’automobile !
La Renault 4, une destinée internationale
Pierre Dreyfus l’a martelé dès son entrée en fonction à la présidence de la régie Renault en mars
1956 : l’entreprise doit exporter à terme 50 % de sa production. Dans l’immédiat Renault fait de la
dernière née de la marque, la Dauphine, le produit de conquête des marchés étrangers. Avec
succès, malgré une aventure commerciale aux États-Unis décevante. La Renault 4, pour laquelle
l’empreinte de Pierre Dreyfus est très forte, s’inscrit délibérément dans cette logique internationale,
devenant l’arme de conquête de Renault. Mais à une condition : que son concept novateur plaise.
« Il est évident que nous devons vendre la Renault 4 à l’étranger ; c’est l’un des buts essentiels de
ce modèle » annonce Pierre Dreyfus dès octobre 1961.
La R4 dans le Marché Commun
Pierre Dreyfus a le sens de l’histoire. C’est un Européen convaincu, qui a fait une partie de ses
études hors de France, qui mesure la nécessité politique et économique d’un rapprochement
européen. La signature du traité de Rome en mars 1957 est pour lui « un événement majeur
capable de dépasser des erreurs passées, et d’inventer de nouvelles logiques » qui fait naître le
1er janvier 1958 le Marché Commun. Sa mise en place sera progressive puisqu’elle durera dix ans,
avec un abaissement des droits de douane de 10 % par an, chez les six partenaires, la France,
l’Allemagne, l’Italie et les trois pays du Benelux. Pierre Dreyfus est sans équivoque : « Ce sera
l’honneur de la régie Renault que de sortir de ses frontières, et de jouer un rôle moteur dans la
construction du Marché Commun ». Reste qu’un tel changement des marchés nécessite des
efforts importants et coûteux, à commencer par une politique d’implantation commerciale. Les
réseaux de distribution restent inégaux : Renault ne peut compter dans l’immédiat sur le Benelux.
La marque est présente aux Pays-Bas et en Belgique depuis 1904 et 1908, puis a construit des
filiales de ventes en 1922 et 1928, avec l’Agence Commerciale Belge des Automobiles Renault,
qui assure aussi les ventes au Luxembourg, et l’Afdelling Holland à La Haye.
La situation est moins aisée en Allemagne et en Italie où les lendemains de la Reconstruction ont
été complexes. Si Renault a installé une filiale de vente à Berlin dès 1908, Renault Automobil AG,
la division de l’Allemagne entre celles de l’Ouest et de l’Est a bouleversé la donne : Renault doit se
repositionner uniquement à l’Ouest, et reconstruire un réseau autour d’une nouvelle filiale installée
à Cologne en 1960, puis déplacée à Brühl, Renault Automobil AG. La réorganisation de Renault se
réalise donc tardivement, misant de ce fait sur les Dauphine et très vite sur la Renault 4 pour
s’imposer sur un marché largement dominé par la Coccinelle. Sur ce point, Renault est confiant,
car la Renault 4 est si différente de la Volkswagen qu’elle n’entre pas en concurrence avec elle.
Reste enfin l’Italie. Très peu présent en Italie, du fait de la domination de la Fiat, la Régie signe en
1958 un accord de collaboration avec le grand concurrent de Turin, Alfa Romeo. Cette firme
partage avec Renault le statut de firme nationalisée. L’accord est très ambitieux puisque les
revendeurs Alfa Romeo vendront en Italie des Renault, au même titre que le réseau Renault en
France distribuera des Alfa Romeo. L’envie d’en découdre avec Fiat voit Alfa Romeo proposer ses
usines pour monter des Dauphine, en attendant avec impatience les Renault 4, révélées à Alfa
Romeo avant leur lancement !
La Renault 4 arrive en octobre 1961, au moment où Renault vient de structurer toutes ses
positions commerciales dans les pays du Marché Commun. Le résultat est immédiat. En 1962,
Renault a un portefeuille de 7 500 commandes de Renault 4 en France et de près de 5 000 en
Europe : on compte 1 400 voitures en Allemagne, avec une prise de commandes de 65 voitures
par jour en moyenne ; 2 280 voitures en attente de livraison en Italie, avec 80 bons de commande
quotidiens ; le Benelux n’est pas en reste avec 90 commandes par jour sur les trois pays. Les
cadences de production de l’île Seguin, fixées alors à 400 voitures par jour compte tenu de
l’outillage encore incomplet, doivent au plus vite passer à 500 pour satisfaire cette Europe qui, à
l’évidence, devient le grand marché de la Renault 4.
Le marché va s’élargir avec la démocratisation de l’automobile et le développement des clientèles,
élément structurant des années 1960 et 1970. Ce marché profite du plein emploi et des hausses
salariales, mais aussi de l’émergence des classes moyennes et de l’arrivée, partout en Europe,
d’une jeunesse pour laquelle l’évasion et les voyages constituent un mode de vie. Les marchés de
la Renault 4 bénéficient ensuite de l’élargissement de la CEE au Danemark, à l’Irlande et au
Royaume-Uni, et plus encore à la Grèce, au Portugal et l’Espagne. Renault parvient même à
entrer dans une Europe de l’Est très fermée, toutefois entrouverte grâce au bon vouloir des
autorités yougoslaves qui acceptent d’importer des Renault 4, plus tard de les fabriquer, et même
d’en revendre quelques unités dans les pays voisins.
De l’exportation au montage local
La Renault 4 séduit les clientèles des pays méditerranéens, avec comme marché leader l’Italie. Le
développement de Renault est impressionnant puisque la marque obtient, fin 1962, une
pénétration de 3,8 % du marché, soit un score équivalent à celui d’Alfa Romeo et de Lancia. Mais
Alfa Romeo refuse de monter les cadences de la Renault 4 et décide de créer un second réseau
de distribution, séparant ses clients de ceux qui achètent une Renault 4. Renault doit à la hâte
former des petits garagistes effrayés par les us et coutumes de la vente et de l’après-vente
moderne. En outre, la législation vient en 1963 faire effondrer les ventes : de 100, celles-ci passent
à 40 par jour. Les législateurs décident une nouvelle taxation, calculée selon la longueur et la
surface au sol des automobiles ! D’un seul coup, la taxe sur la Renault 4 passe de 30 000 lires - à
l’origine la même que les Fiat 500 et 600 - à 62 000 lires ! Renault tente de convaincre le
gouvernement italien qu’une 4L faite chez Alfa Romeo - qui plus est dans des usines de la holding
industrielle de l’État - est une voiture italienne et que cette législation pénalise l’économie
nationale. Mais rien n’y fait et le divorce est consommé. L’Europe montre ses rugosités, soulignant
la complexité de l’union dans des contextes de concurrence, mais aussi la difficulté du montage à
l’étranger. Pourtant, c’est bien cette solution industrielle que Renault doit envisager à l'avenir, car
bon nombre de pays limitent leurs importations pour obliger les constructeurs à monter les voitures
sur place.
C’est en l’occurrence le cas de l’Espagne où les importations automobiles sont purement
interdites. Mais la chance de Renault est de s’être engagé dès 1953 dans la construction d’une
usine à Valladolid, la FASA. La Renault 4 devient la voiture qui va changer la face de
l’internationalisation de Renault.
La Renault 4 commence à être assemblée avec l’outil industriel présent, celui qui assure en
Espagne le montage des Dauphine. Son succès est tel que Renault doit vite envisager de
nouvelles solutions, tant en matière d’usines de tôlerie que de moteurs. Un plan de développement
est lancé, avec la création d’une société de mécanique, la FACSA, et une société de carrosserie,
la FAMESA. Les contraintes financières obligent d’une part Renault à demander l’appui de la
Banco Iberico, d’autre part à apporter, via sa filiale financière suisse – Renault Holding –, 200
millions de pesetas entre 1964 et 1965. Si l’événement permet à Renault de prendre le contrôle
financier de la FASA, il la pousse surtout à se doter d’un outil industriel calqué sur celui mis au
point en France. La FASA devient une des composantes à part entière du système productif, au
même titre que l’usine belge de Haren qui, elle aussi, engage la production de Renault 4. Le
succès de la 4L redessine les frontières de Renault, et anticipe les contours de l’Europe de
demain.
La pionnière de la mondialisation
Contrairement aux prévisions liées au projet 112, la Renault 4 connaît un succès bien au-delà des
frontières de l'Europe. Si les prototypes ont bien été essayés sur les pistes africaines de Guinée
ou les routes gelées du Minnesota, c’était bien plus pour rechercher les conditions extrêmes
d’utilisation que pour préparer les Renault 4 à ces conditions spécifiques de roulage. Dès 1961,
Pierre Dreyfus interroge la direction commerciale sur la vente de la Renault 4 aux États-Unis. Les
avis sont si mitigés que la décision est repoussée… à 1962 où l’idée d’écouler la Renault 4 au
Canada est sur le point d’être prise, en sachant pertinemment qu’un lancement au Canada conduit
aux États-Unis ! Mais faute d’une après-vente suffisante, la décision est une nouvelle fois
repoussée.
C’est en Amérique latine que la Renault 4 connaît un vrai succès. De 1950 à 1967, Renault
s’implante de façon très structurée sur un continent qu’il considère comme devant devenir à terme
un marché unique, notamment au moment où plusieurs pays négocient le Pacte Andin dont
l’aboutissement conduira, trente ans plus tard, à la création du Mercosur. Argentine, Chili, Brésil,
Colombie, Mexique, Pérou, Uruguay et Venezuela, Renault compte huit usines, puis sept, car la
Régie doit quitter le Brésil en 1968. Elles couvrent l’ensemble d’un continent dont la clientèle est
proche de la culture européenne et surtout hispanique, préférant acheter français plutôt
qu’américain, ne serait-ce que pour montrer son hostilité à l’impérialisme Yankee. Un vrai ressenti
politique d’autant plus que Renault a annoncé en 1960 vouloir construire une usine à Cuba pour la
Renault 4. Le projet sera finalement abandonné très vite par crainte des représailles au moment
où la Régie envoie 500 Dauphine par jour aux États-Unis !
Fort de toutes ces installations, la Renault 4 est au coeur d’une organisation industrielle très
novatrice, car complémentaire : le Chili fournit les boîtes de vitesses à la Colombie et l’Argentine.
Celle-ci paie sa facture au Chili contre des éléments de carrosserie. Quant à la Colombie, elle
s’occupe des cardans de tous ces modèles et fabrique des moteurs ; elle les envoie au Chili et en
Argentine et reçoit en échange des boîtes de vitesses et les éléments de carrosseries. Renault
choisit une politique de développement partagée. Développement de ses ventes, mais
développement aussi des pays où l’entreprise s’installe. Car la logique de Renault est bien
d’accepter de confier à des usines étrangères la fabrication de "pièces et d’éléments nobles"
comme les moteurs et les boîtes de vitesse. C’est ce que les Américains refusent pour garder le
contrôle de leur production et la main sur des usines et des économies lointaines. La Renault 4
deviendra un véhicule majeur du paysage automobile sud-américain, avec une proportion qui frôle
les 25 % de la production globale du modèle !
Mais l’internationalisation de la Renault 4 montre une autre facette de l’histoire de la marque et du
produit. La Renault 4 participe au développement des pays jeunes, de ceux qui forment alors le
Tiers Monde, mais aussi de ces nations nées de la décolonisation. Renault participe à
l’industrialisation de l’Afrique du Nord et l’Afrique noire, en aidant à la construction d’usines
automobiles, point de départ d’une plus large politique d’industrialisation. C’est ici la clé d’une
véritable indépendance. Aciéries, industries mécaniques, chimiques ou textiles, toutes ces
branches d’activité peuvent se développer, en commençant par devenir les fournisseurs ou les
sous-traitants de l’automobile. Grâce à ce modèle, Renault est présent en Algérie, en Côte
d’Ivoire, à Madagascar, au Maroc, en Tunisie et au Zaïre.
Cet engagement politique ne peut masquer d’autres aspects bien plus économiques et financiers.
Pour des raisons fiscales, et notamment la volonté de limiter les taxes d’importation, de plus en
plus lourdes dans les années 1960-70, la Renault 4 est assemblée ou fabriquée selon les cas -
c’est-à-dire avec plus ou moins de composants locaux – par des industriels sous contrat. Ainsi,
dans plusieurs pays, la 4L est produite dans des usines indépendantes, parfois aux côtés de
véhicules de marques concurrentes. C’est surtout le cas dans les anciennes colonies britanniques,
en Afrique du Sud, en Australie ou en Nouvelle-Zélande.
De ces exemples si différents, reste l’essentiel : avant même que n’existe le mot mondialisation, la
Renault 4 répond à des aspirations communes de mobilité, des besoins pratiques et simples de
transport ou des notions essentielles d’outil de travail. La Renault 4 se révèle une voiture
mondiale, présente sur tous les continents. Avec probablement une réserve. Sa présence est
faible en Asie. C’est la rançon d’une concurrence locale très forte, peut-être aussi d’une moins
bonne adaptation à des marchés spécifiques où les deux et trois roues dominent, mais aussi d’une
absence structurelle de Renault dans cette partie du monde jusqu’à la fin des années 1980. Il
n’empêche. De 1961 à 1992, la Renault 4 a esquissé, puis dessiné une vision globale de
l’automobile, faisant connaître ce modèle dans le monde entier et même emblématique d’un
savoir-faire et d’un savoir-vivre..